Interview

L’ascension littéraire de Serena Giuliano

Arrivée en France à l’âge de 12 ans, dans les années 90, après avoir quitté Salerne, près de Naples, l’autrice à succès Serena Giuliano vit aujourd’hui en Moselle, non loin de Metz. Son parcours est marqué par le déracinement, la langue à apprivoiser et le besoin de se fondre dans la masse. C’est pourtant cette double culture, italienne et française, qui nourrit l’identité de son œuvre. « L’Italie est ma mère biologique, la France ma mère adoptive », confie-t-elle aujourd’hui.

De l’Italie à la Moselle : Rencontre avec Serena Giuliano

Discrète et solaire, réservée et généreuse, hésitante et fulgurante, elle aime l’écriture autant qu’elle en repousse le départ, laissant longtemps mûrir ses histoires avant de les écrire dans l’urgence. Rencontre avec une plume instinctive, aujourd’hui largement lue, mais toujours aussi sincère.

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Vous êtes arrivée en France très jeune. Quel souvenir gardez-vous de ce déracinement ?


Je suis arrivée à 12 ans, sans parler un mot de français. J’ai vécu ça comme un arrachement. À cet âge-là, on veut surtout ressembler aux autres, se fondre dans le décor. Moi, j’étais « l’Italienne », avec mon accent, mes références, ma façon d’être. J’ai mis beaucoup de temps à accepter cette différence. Aujourd’hui, je la vois comme une richesse, mais à l’époque, c’était une épreuve.

Votre rapport à la langue française a-t-il été immédiat ?


Pas du tout. J’ai appris le français dans l’urgence, par nécessité. C’est une langue que j’ai apprivoisée petit à petit, avec un immense désir de bien faire. Je pense que mon amour des mots vient aussi de là : de ce besoin vital de comprendre, de m’exprimer, de trouver ma place.

Quand l’écriture est-elle entrée dans votre vie ?


Très tôt. J’ai toujours écrit. Enfant, adolescente, je noircissais des carnets. C’était mon refuge. À l’oral, je suis quelqu’un de très réservé, parfois maladroit. À l’écrit, je peux tout dire. L’écriture m’a toujours permis d’exister pleinement.

Votre parcours professionnel ne vous destinait pourtant pas à la littérature…


Non, pas du tout. J’ai suivi des études dans la banque. J’ai travaillé six mois et j’ai compris que je m’étais trompée de voie. Je me sentais enfermée, loin de ce que j’étais vraiment. Mais je n’avais pas encore le courage de m’autoriser à choisir l’écriture.

Le tournant a lieu pendant votre congé maternité…


Oui. J’ai lancé un blog, presque sans réfléchir. Au départ, je parlais de mode, puis de maternité, de ma vie quotidienne, avec beaucoup d’humour. Et très vite, des gens ont commencé à me lire, à me suivre. J’ai découvert la force d’une communauté. C’était la première fois que mes mots touchaient autant de personnes.

Ce succès sur le web vous ouvre ensuite la porte du roman.


Exactement. J’ai écrit Ciao Bella un peu comme un saut dans le vide. Je n’étais sûre de rien. Je ne savais pas si j’en étais capable. Et puis le livre a rencontré son public. Très vite. Ce fut un bouleversement total.

Aujourd’hui, vous publiez un roman par an et votre lectorat est considérable. Comment vivez-vous ce succès ?


Avec beaucoup de gratitude… et beaucoup de lucidité. Je sais que rien n’est acquis. J’essaie de ne jamais me reposer sur mes lauriers. Chaque livre est une remise en question totale. Le succès ne protège pas du doute, bien au contraire.

Vos romans sont souvent classés dans la catégorie “feel-good”. Cette étiquette vous convient-elle ?


Si “feel-good” signifie apporter du réconfort, alors oui. Mais mes livres ne sont pas que cela. J’y aborde des sujets lourds : les relations toxiques, les blessures familiales, la dépression, la thérapie, la reconstruction. Ce sont des romans lumineux, mais jamais édulcorés.

Justement, la santé mentale occupe une place importante dans votre œuvre.


Parce que cela fait partie de ma vie. La thérapie m’a sauvée. L’écrire, c’est aussi une façon de transmettre, de dire aux autres qu’ils ne sont pas seuls, qu’on peut demander de l’aide. Beaucoup de lecteurs m’écrivent pour me dire que mes livres les ont aidés à franchir un cap. C’est ce qui me touche le plus.

Vous êtes décrite comme une autrice très instinctive. Est-ce exact ?


Totalement. Je n’ai aucun plan, aucune fiche personnage, aucun fil directeur précis. Je me laisse guider par ce que je ressens. Parfois, c’est très angoissant, parce que je ne sais jamais où je vais. Mais c’est aussi ce qui me donne cette liberté.

Votre méthode d’écriture est assez singulière : une longue incubation, puis une écriture fulgurante.


Oui. Je peux laisser une histoire mûrir pendant presque un an, sans écrire une ligne. Et puis, d’un coup, tout sort très vite, dans une sorte d’urgence nerveuse. Je repousse toujours le moment de commencer. J’adore écrire, mais j’ai peur du premier mot.

Dans quelles conditions écrivez-vous ?


Dans le silence total. J’ai besoin d’isolement, de calme absolu. Je suis très sensible à mon environnement. Le bruit, les sollicitations, les échanges me fatiguent vite. L’écriture demande une énergie énorme.

Vous êtes très présente pour vos lecteurs, notamment sur les réseaux. N’est-ce pas contradictoire avec ce besoin de solitude ?


C’est un équilibre fragile. J’adore mes lecteurs, les échanges, les dédicaces, le contact humain. Mais cela me vide aussi de mon énergie. Après chaque tournée, j’ai besoin de me retrouver seule. Je suis profondément introvertie, même si on ne le pense pas toujours.

Vos romans se déroulent souvent en Italie. Est-ce une façon de rester reliée à vos origines ?


Oui, sans doute. L’Italie ne m’a jamais quittée. Elle est partout en moi. Dans mes souvenirs, dans mes émotions, dans ma façon d’aimer, de manger, de parler avec les mains. L’Italie est une source permanente d’inspiration.

Vous écrivez des histoires très accessibles, mais jamais simplistes. Est-ce un choix conscient ?


Je veux toucher, pas impressionner. Je ne cherche pas la performance littéraire. Je veux que mes livres soient lus par tout le monde, sans pour autant renoncer à la profondeur. L’émotion est toujours mon premier moteur.

Votre sincérité est souvent soulignée. Est-ce une valeur essentielle pour vous ?


Oui, même si je ne la revendique pas comme une posture. J’écris comme je suis. Avec mes failles, mes doutes, mes zones d’ombre. Je crois que les lecteurs sentent quand c’est vrai.

Qu’attendez-vous aujourd’hui encore de l’écriture ?


Qu’elle continue de me sauver, un peu, chaque jour. Qu’elle me permette de comprendre le monde, les autres, et moi-même. Et si, en plus, elle aide d’autres personnes à se sentir moins seules, alors c’est immense.

Avez-vous déjà une idée du prochain roman ?


Oui… et non. Il est quelque part, en gestation. Il me résiste encore. Mais je sais qu’il finira par s’imposer. Comme toujours.

Version du 19 December 2025

Culture